Bruxelles en thérapie

13 02 2016

J’adore les villes et leur bruissement humain incessant. D’ailleurs, quand je fais de la bande dessinée, ce que je préfère dessiner, ce sont les villes, en partant d’une photo vaguement décalquée à la table lumineuse, pour ensuite laisser filer mon crayon et mon imaginaire en pensant à toutes les vies qui se cachent derrière ces façades d’immeubles bordant des artères centrales lumineuses autant que bondées.

Et en parlant d’artères, celles de Bruxelles sont tellement encrassées qu’à côté d’elles même les poumons de Serge Gainsbourg devaient ressembler à un ciel bleu immaculé.
Le risque d’infarctus pointe, car le patient est en mauvaise santé, rongé par le stress et la décrépitude.
Bruxelles n’est pas propre sur elle, ça le psychalanyste l’a tout de suite remarqué lorsqu’elle est entrée dans son cabinet. Débraillée, déglinguée et complètement dépareillée, sa jupe plissée uccloise se mariant tant bien que mal à son tailleur strict et impersonnel d’eurocrate cachant mal un chemisier rapiécé des Marolles, lui même surplombé d’un voile molenbeekois recouvrant une tignasse aussi ébouriffée que la place Meiser à l’heure de pointe.

Sigmund a tout de suite cerné le problème identitaire de sa patiente : ses deux parents ne s’entendent pas et l’utilisent comme punching-ball permanent, l’accusant de vouloir briser leur couple, mauvaise foi crasse quand on sait que sans elle, ils auraient divorcé depuis belle lurette (je n’ai pas dit depuis belle Laurette, car Laurette connaît surtout la côte et le Brabant wallon, passant constamment du Coq à Lasne).

Comble de l’ingratitude, c’est elle, Bruxelles la multilingue, qui fait bouillir la marmite de la famille. Le fameux « poumon » économique. Oui, sauf que le poumon en question est lui aussi à l’image sur ceux de feu l’homme à la tête de chou.
Et pour ne rien arranger, Bruxelles a des acouphènes. Vous savez, cette sorte de larsen permanent qui vous occasionne un bourdonnement continu dans les oreilles, comme si un avion décollait ou atterrissait au-dessus de votre tête toutes les cinq secondes. En termes médicaux, les acouphènes sont à classer dans la catégorie bien connue des Bruxellois : les nuisances sonores.

On pourrait suggérer à Bruxelles de s’aérer. Quand on déprime, il ne fait jamais bon rester entre quatre murs. Et depuis Voltaire, tout le monde le sait : le bonheur est au coin de la rue, à condition de savoir cultiver son jardin.
Car Bruxelles l’enfumée est comme tout être humain : pétrie de paradoxes : à la fois usine à bagnoles ET truffée d’espaces verts. Une petite escapade dans le Bois de Lacan ? Oups, lapsus.
En fait non, pas possible, le bois. Tous les parcs bruxellois sont fermés à cause du vent. « Acte manqué » par excellence, pense certainement le barbu autrichien.

Mais moi, ce qui me fascine le plus, aussi bien dans les villes que dans le cerveau humain, c’est ce qui est caché et relève de l’inconscient : c’est là que tout circule, non pas en surface, mais en profondeur.
Les tunnels sont l’inconscient d’une ville : ils relient les quartiers entre eux dans l’obscurité. A Sydney, en Australie, un immense tunnel construit en 1992 passe sous la baie et relie le sud au nord de la ville. Depuis qu’il a été creusé, le trafic à l’air libre s’en est trouvé fluidifié. Quand un être humain est en paix avec lui-même au plus profond de son inconscient, il est moins congestionné dans la vie de tous les jours.

Mais quand les tréfonds de sa psyché tombent en ruines, bardaf, c’est l’embardée.

C’est dire à quel point Bruxelles n’est pas sortie de l’auberge. On lui prescrirait bien une bonne dose d’anti-dépresseurs, sous forme de RER en suppositoires, mais personne ne veut financer le traitement, surtout pas ses parents, radins comme des Ténardiers.

C’est grave, docteur ?