Le modèle australien

28 06 18 : L’Australie, modèle à suivre ?

Je lis depuis des mois les débats enflammés à propos du « modèle australien » en matière d’immigration, qui serait, selon les nationalistes, LA solution, alors que d’autres – surtout à l’extrême gauche – caricaturent un pays qu’ils ne connaissent pour la plupart pas, en en faisant pratiquement le cheval de Troie du fascisme mondial rampant.

Ce qui m’étonne, c’est la cécité générale des deux côtés, ne prenant pas en compte l’entièreté du processus. S’est-on posé la question de l’intégration finale des populations étrangères Down Under ?…

L’Australie est le seul pays à cumuler cinq facteurs : stabilité, prospérité, sécurité, démocratie et… soleil. Prenez un globe terrestre et vérifiez.

Il est donc normal qu’elle attire énormément d’étrangers, d’autant plus qu’elle s’est construite comme cela dès l’arrivée de la First Fleet, le 26 janvier 1788 dans la baie de Sydney (la question aborigène, connexe autant que complexe, ne sera pas abordée ici, car elle mérite un débat à elle seule).

La première raison pour laquelle la comparaison entre le modèle australien et l’Europe me paraît bancale est donc tout d’abord parce que l’Australie a une politique d’immigration claire et tranchée, qu’on l’aime ou non. En gros, vous pouvez venir si l’Australie a besoin de vous.

Secundo, comment occulter le fait que l’Australie est entourée d’océans vastes et dangereux, et faite d’une terre immense et hostile, à 80 % inhabitable, qui rend donc très difficile pour des gens débarquant en bateaux de fortune la traversée de l’Outback pour chercher fortune dans les grandes villes ?

Lorsqu’un Anglais va à l’étranger, il dit « abroad », ce qui littéralement vient de « at wide », soit « au loin ». En Australie, le mot utilisé est « overseas », soit « par-delà les mers ». tout est dit. Il faut faire huit heures d’avion depuis Sydney pour arriver à Singapour. La tyrannie de la distance a toujours façonné l’Australie.

La raison pour laquelle j’ai une – petite – expertise en la matière, c’est que, contrairement à Theo Francken, je suis moi-même passé par l’immigration australienne avant d’obtenir le 17 juin 2010 ma naturalisation. Et je suis plus qu’étonné de voir le Secrétaire d’État à la Migration ne prendre dans le modèle australien que ce qui l’arrange, à savoir le verrou à l’entrée, occultant le sésame de sortie.

Je suis arrivé en Australie en 2005, avec visa de touriste, fraichement marié à une ressortissante australienne, avec mes deux premières nationalités, la française et la britannique. J’ai décidé de faire ma demande en tant que britannique, pensant que les choses seraient plus simples. Que nenni : que vous soyez sujet de sa gracieuse majesté ou soudanais (je prends ce pays au hasard), le traitement est le même pour tous : vous avez un « case officer » qui gère votre dossier, et là vous passez par toutes les cases de l’intrusion dans la vie privée. Je n’oublierai jamais la phrase que m’avait sortie celle qui gérait mon dossier en me demandant moult détails sur l’origine de ma relation avec mon épouse, témoignages de tiers à l’appui, photos de nous ensemble (un moment, j’ai cru qu’elle allait exiger une sextape), etc. Je lui demandai quelle était la signification de sa démarche. Réponse : « Monsieur, je vous préviens que plus vous posez de questions, plus vous mettez votre dossier en péril ». CQFD.

Pourtant, j’étais un candidat à priori idéal : jeune, en bonne santé, diplômé, provenant d’un pays riche (la Belgique), parlant couramment l’anglais et marié à une Australienne qui possédait en plus un appartement à Canberra pour nous héberger. Je gagnais mon argent en Belgique (dans la presse belge) et j’allais le dépenser en Australie, en payant des impôts sur place et sans prendre le boulot d’un local, par-dessus le marché !

Pourtant, durant ma période de « bridging visa », entre mon visa de touriste et ma résidence temporaire, j’avais l’impression en marchant dans la rue que tout le monde me regardait comme un alien qui venait se sucrer sur la bête.

Il a fallu cinq années pour que j’obtienne la naturalisation, que j’avais demandée pour une raison simple : mes enfants sont nés là-bas et je voulais pouvoir avoir la possibilité d’aller vivre avec eux un jour s’ils décidaient de s’y installer, une fois adulte.

Je ne comprends pas comment on peut être fier de sa nationalité ou du lieu où l’on est né, dans la mesure où l’on y a été pour rien. Mais si je devais à la rigueur m’enorgueillir de l’un de mes passeports, ce serait l’Australien, car c’est celui que je suis allé chercher, en passant par le – nécessaire – parcours d’intégration, celui-ci comprenant notamment un questionnaire poussé sur l’histoire et la culture australiennes.

Cher Theo Francken, si vous me lisez, retenez bien le discours du maître de cérémonie qui nous donnait notre « diplôme » de nouvel australien, le 17 juin 2010 : Nous étions à peu près 300, venant de tous horizons ; très peu d’Européens, surtout des Asiatiques et des Sud-Américains, ainsi que quelques Africains de l’Est (il devait y avoir l’un ou l’autre Soudanais dans le lot) : « Aujourd’hui, vous devenez des citoyens australiens et nous en sommes très fiers. Mais ce n’est pas pour autant que vous cessez d’être ce que vous étiez avant. Donc, je vous en conjure, puisque je vois beaucoup de petits enfants dans la salle, continuez à leur transmettre votre culture d’origine et à leur parler votre langue maternelle. »

Contrairement à ce que croient les souverainistes europhobes, une identité n’écrase pas les autres et, dans mon cas, je me sens à la fois français, britannique, belge ET australien (c’est un casse-tête pendant le Mondial !). J’ai bien peur que dans le monde tel qu’il va, cela soit bientôt considéré comme une hérésie.

Toute personne tentée par le vote nationaliste devrait essayer une fois dans sa vie de vivre hors de son pays d’origine – comme 300 millions seulement de personnes sur cette planète – juste pour voir ce que ça fait d’être vu comme un pestiféré, simplement parce qu’on ne vient pas du même endroit.

Évidemment, le corollaire à cet accueil australien, c’est que l’on n’a certes autant de droits que les autochtones, mais également autant de devoirs.

Et – dernière chose – l’obligation de se prendre en charge sans vivre au crochet de l’État. Je conseille à tous de lire « La ruée vers l’Europe », instructif livre de Stephen Smith, qui connaît le continent africain de fond en comble et qui y étudie les rapports passés, présents et futurs entre l’Afrique et le Vieux Continent. Sa conclusion est très politiquement incorrecte, mais frappée au coin du bon sens : les grands pays d’immigration – comme l’Australie – sont des machines à intégrer les étrangers, mais ne fonctionnent pas sur le modèle de l’État-providence. État-providence ou immigration, il faudra un moment ou l’autre choisir. En France, le Rassemblement national veut défendre l’État-providence mais ne veut pas de l’immigration. L’Australie pense l’inverse. Bizarrement, Theo Francken et Donald Trump ne veulent ni de l’un, ni de l’autre, préférant l’entre-soi petit-bourgeois.

C’est vrai que quand on est tous pareils, ça nous évite de nous remettre en question.

Rien à faire : l’homogénéité rend con.